VIII
LA CAMISADE.

Le mois d’avril passa ainsi, entre pluie et beau temps. L’herbe reverdit dans les champs, les tranchées et les fosses des morts. Nos canons battaient les murs de Breda, les mines et contre-mines se succédaient, on tiraillait ici et là, de tranchée à tranchée, entre nos assauts et les sorties des Hollandais, qui rompaient la monotonie du siège. C’est vers cette époque que commencèrent à nous parvenir des nouvelles sur la disette qui affligeait les assiégés. Mais la situation des assiégeants était encore pire, à cette différence près que nos ennemis avaient grandi sur des terres fertiles, sillonnées de rivières, parsemées de prés et de villes que leur avait données le destin, tandis que nous autres Espagnols arrosions les nôtres depuis des siècles avec notre sueur et notre sang pour en arracher une bouchée de pain. Plus habitués aux raffinements de la table qu’au manque de nourriture, les uns par nature et les autres par habitude, quelques Anglais et Français de Breda commencèrent à déserter leur compagnie pour passer dans notre camp, nous apprenant que cinq mille paysans, bourgeois et soldats étaient déjà morts derrière les murs. De temps en temps apparaissaient, pendus devant les murailles, des espions hollandais qui avaient essayé de franchir nos lignes avec des messages de plus en plus désespérés du chef de la garnison, Justin de Nassau, à son parent Maurice, cantonné à quelques lieues de là et bien résolu à libérer la place assiégée depuis déjà près d’un an.

À la même époque, nous apprîmes que Maurice de Nassau élevait une digue à côté de Sevenberge, à deux heures de marche de Breda, afin de détourner vers notre camp les eaux de la Merck, et, en inondant avec l’aide des marées les quartiers et tranchées des Espagnols, de transporter par bateaux soldats et vivres dans la ville assiégée. Pour ces ambitieux travaux, une foule de sapeurs et de marins s’employèrent à couper mottes de terre et fascines, charriant pierres, troncs d’arbres et planches. L’ennemi avait déjà coulé deux barques bien lestées et il progressait sur les deux rives, recouvrant la terre de grands étais de bois et consolidant l’écluse avec des pontons et des estacades. Ces manœuvres inquiétaient fort le général Spinola, qui cherchait sans le trouver un moyen efficace d’éviter que nous nous retrouvions un jour avec de l’eau jusqu’au gosier. Certains disaient en plaisantant qu’il fallait envoyer les soldats toujours assoiffés des régiments allemands pour ruiner le projet de Nassau :

Il placerait là les Germains : « Cette digue, dirait-il enfin, il va falloir me l’écarter, sinon nous mourrons tous noyés », car eux, je peux vous l’assurer, iraient, pour ne point boire d’eau, l’abattre et saper aussitôt.

À la même époque, le capitaine Alatriste reçut l’ordre de se présenter à la tente de campagne du mestre de camp Pedro de la Daga. L’après-midi était déjà avancé quand il y arriva. Le soleil descendait sur la plaine et rougissait la berge des digues où se découpaient, lointaines, les silhouettes des moulins et des arbres qui bordaient les marécages du Nord-Ouest. Alatriste avait fait toilette pour l’occasion : sa casaque de buffle dissimulait les reprises de sa chemise, ses armes étaient encore plus nettes que d’habitude et le capitaine venait juste de suiffer les sangles de son attirail. Il entra sous la tente en enlevant son vieux chapeau qu’il tint d’une main tandis que l’autre reposait sur le pommeau de son épée. Il resta là, silencieux et droit comme un piquet, jusqu’à ce que Don Pedro de la Daga, qui devisait avec des officiers, parmi lesquels se trouvait le capitaine Bragado, décide de lui accorder son attention.

— C’est donc notre homme, dit le mestre de camp.

Cette étrange convocation ne semblait susciter chez Alatriste ni curiosité ni inquiétude, même si ses yeux attentifs ne manquèrent pas le sourire discret que Bragado lui adressa, derrière le colonel du tercio. Il y avait quatre autres militaires sous la tente. Le capitaine les connaissait tous de vue : Don Hernán Torralba, capitaine d’une autre compagnie, le sergent-major Idiáquez et deux aspirants attachés à l’état-major du mestre de camp, aristocrates ou fils de bonnes familles qui servaient sans solde dans les tercios pour la gloire ou – ce qui était plus courant – pour se faire une réputation avant de rentrer en Espagne jouir des prébendes dont ils seraient redevables à leurs protecteurs, amis ou famille. Ils buvaient, dans des verres de cristal, du vin de plusieurs bouteilles posées sur la table, à côté de livres et de cartes. Alatriste n’avait pas vu un verre de cristal depuis le sac d’Oudkerk. Bergers éméchés – se dit-il –, et la brebis est morte.

— Vous en prendrez un peu, monsieur le soldat ?

Chie-des-Cordes fit une grimace qu’il voulait aimable en montrant distraitement les bouteilles et les verres.

— C’est du vin doux de Pedro Ximenéz, ajouta-t-il. Il vient de nous arriver de Málaga.

Alatriste avala sa salive le plus discrètement possible. À midi, ses camarades de tranchée et lui avaient reçu du pain à l’huile de navet et un peu d’eau sale comme seul repas. Chacun doit rester à sa place, soupira-t-il intérieurement. Il fallait tenir les officiers à distance, comme eux le faisaient de leurs subalternes, quand l’envie leur en prenait.

— Avec la permission de Votre Seigneurie, dit-il après quelques instants de réflexion, je boirai plus tard.

Il s’était redressé, aussi respectueusement que possible. Le mestre de camp haussa cependant un sourcil et, le moment d’après, lui tourna le dos, sans plus lui prêter attention, comme s’il était fort occupé à lire les cartes étalées sur la table. Curieux, les aspirants observaient Alatriste de la tête aux pieds. Quant à Carmelo Bragado, qui se trouvait en deuxième place à côté du capitaine Torralba, il lui fît un large sourire qui s’effaça quand le sergent-major Idiáquez prit la parole. Ramiro Idiáquez était un vieux soldat à la moustache grise et aux cheveux blancs coupés très court. Son nez portait une cicatrice qui semblait en diviser le bout, souvenir de l’assaut et du sac de Calais au siècle dernier, à l’époque de notre bon roi Philippe II.

— Ils nous ont lancé un défi, dit-il avec la brusquerie dont il était coutumier. Demain matin. Cinq contre cinq, à la porte de Bolduc.

En ce temps-là, ces combats singuliers étaient monnaie courante. Lassés du flux et du reflux de la guerre, les combattants s’affrontaient parfois sur le terrain personnel, avec les rodomontades et fanfaronnades dont dépendait l’honneur des nations et des drapeaux. Au temps du grand empereur Charles Quint, et pour la plus grande joie de l’Europe entière, notre souverain avait défié son ennemi François Ier en combat singulier. Après mûre réflexion, le Français avait décliné l’offre de l’empereur. De toute façon, l’Histoire finit par présenter une belle facture au roi de France lorsque, à Pavie, il vit ses troupes défaites, la fleur de sa noblesse anéantie, et lui-même fait prisonnier quand l’épée de Juan de Urbieta, originaire de Hernani, se posa sur son royal gosier.

Il y eut un court moment de silence. Alatriste restait impassible, attendant qu’on lui en dise davantage, ce que fit l’un des aspirants.

— Deux Hollandais sont sortis hier de Breda, fort imbus d’eux-mêmes, pour lancer le défi… Apparemment, un de nos arquebusiers a tué un haut personnage dans les tranchées de la place. Ils réclamaient une heure de combat en rase campagne, cinq contre cinq, avec deux pistolets et une épée pour chacun. Naturellement, notre camp a relevé le gant.

— Évidemment, renchérit le second aspirant.

— Les hommes du tercio italien de Campo Látaro veulent être de la partie. Mais il a été décidé que les nôtres seraient tous espagnols.

— Naturellement, fit l’autre aspirant.

Alatriste les regarda attentivement. Celui qui avait parlé le premier devait friser la trentaine. Ses vêtements montraient qu’il s’agissait d’un homme de qualité et le baudrier de son épée était de bon maroquin, rehaussé au fil d’or. En dépit de la guerre, il s’arrangeait toujours pour que sa moustache reste bien frisée. C’était un homme désagréable et hautain. L’autre, plus enveloppé et plus petit, était jeune lui aussi. Il s’habillait un peu à la mode italienne : pourpoint court de velours avec des crevés de satin et une riche wallonne de Bruxelles. Tous deux portaient une écharpe à glands dorés et des bottes de bon cuir avec des éperons, bien différentes de celles que le capitaine chaussait, les pieds enveloppés dans des chiffons pour que ses orteils ne passent pas à travers les trous. Il s’imagina les deux aspirants jouissant de l’intimité du mestre de camp, qui à son tour consolidait avec eux ses influences à Bruxelles et à Madrid, multipliant les « mercis » et les « Votre Grâce » comme des chiens attachés à la même laisse.

Pour le reste, il ne connaissait du premier aspirant que son nom : Don Carlos del Arco, fils d’un marquis de Burgos, à ce qu’on racontait. Il l’avait vu se battre deux ou trois fois et il avait la réputation d’être courageux.

— Don Luis de Bobadilla et moi, cela fait deux, continua l’aspirant. Il nous faut encore trois hommes intrépides pour se battre avec nous.

— En fait, il n’en manque qu’un, corrigea le sergent-major Idiáquez. Pour accompagner ces gentilshommes, j’ai déjà pensé à Pedro Martin, un brave de la compagnie du capitaine Gómez Coloma. Et le quatrième sera probablement Eguiluz, qui fait partie des gens de Don Hernán Torralba.

— De quoi faire avaler de travers le Nassau, conclut l’aspirant.

Alatriste digérait silencieusement ce qu’il entendait. Il connaissait Martin et Eguiluz, tous deux de vieux soldats parfaitement dignes de confiance lorsqu’il s’agissait d’en découdre avec les Hollandais ou ceux que le hasard mettait devant eux. L’un comme l’autre feraient bonne figure face aux hommes de l’autre camp.

— Vous serez le cinquième, dit Don Carlos del Arco.

Toujours immobile, le chapeau dans une main, l’autre posée sur la poignée de son épée, Alatriste fronça les sourcils. Il n’aimait pas le ton qu’employait le petit-maître pour lui faire savoir que les cartes étaient déjà tirées, d’autant plus qu’il s’agissait d’un aspirant, non véritablement d’un officier. Il n’aimait pas non plus les glands dorés de son écharpe, ni son air prétentieux de qui a une bonne provision de pièces d’or dans la poche et un père marquis à Burgos. Il n’appréciait pas davantage que son chef naturel, le capitaine Bragado, ne dise pas un mot, lui qui devait sa carrière au fait qu’il était aussi bon soldat que fin diplomate. Aussi intrépides qu’ils fussent en actes ou en paroles, buvant dans des verres de cristal le vin de leur mestre de camp, obéir aux ordres de ces gommeux arrogants faisait regimber Diego Alatriste y Tenorio. Pour cette raison, la réponse affirmative que le capitaine s’apprêtait à donner ne franchit pas ses lèvres. Son hésitation fut mal interprétée par Don Carlos del Arco.

— Naturellement, dit celui-ci avec une pointe de dédain, si vous trouvez cette mission trop dangereuse…

Il ne termina pas sa phrase et regarda autour de lui, tandis que son compagnon ébauchait un sourire. Faisant fi des regards d’avertissement que lui lançait le capitaine Bragado, demeuré un peu à l’écart, Alatriste retira sa main du pommeau de son épée pour lisser sa moustache avec un parfait sang-froid. Une façon comme une autre de contenir la colère qu’il sentait grandir en lui et qui faisait battre ses tempes.

Il fixa un très long moment ses yeux glacés sur un aspirant, puis sur l’autre, au point que le mestre de camp, qui était resté tout ce temps le dos tourné, comme si l’affaire ne le concernait pas, fît volte-face pour l’observer. Mais Alatriste s’adressait déjà à Carmélo Bragado :

— Je suppose qu’il s’agit d’un ordre de votre part, mon capitaine.

Bragado posa lentement la main sur sa nuque et la caressa sans répondre, puis il se tourna vers le sergent-major Idiáquez, qui fusillait du regard les deux aspirants. Don Pedro de la Daga prit la parole :

— Dans les affaires d’honneur, il n’y a pas d’ordre qui tienne, dit-il avec un profond mépris. Chacun y va de sa réputation et de son nom.

Alatriste pâlit en entendant ces mots et sa main revint lentement se poser sur le pommeau de sa tolédane. Le regard que lui adressait Bragado était presque suppliant : s’il sortait ne serait-ce qu’un pouce de la lame de son épée, Alatriste serait envoyé au gibet. Mais les réflexions du capitaine ne s’arrêtaient pas là. Il était en train de calculer avec un calme imperturbable le temps dont il disposerait s’il donnait un coup d’épée au mestre de camp et se retournait contre les deux aspirants. Peut-être aurait-il le temps d’en envoyer un en enfer, de préférence Carlos del Arco, avant qu’Idiáquez et Bragado ne l’abattent, lui, le capitaine, comme un chien.

Visiblement mal à l’aise, le sergent-major s’éclaircit la voix. De par son grade et ses privilèges dans le tercio, il était le seul à pouvoir contredire Chie-des-Cordes. Il connaissait Diego Alatriste depuis qu’une vingtaine d’années plus tôt, à Amiens, alors que l’un était encore un jeune garçon et que la moustache de l’autre poussait à peine, ils étaient sortis ensemble de la demi-lune de Montrecurt avec la compagnie du capitaine Don Diego de Villalobos. Durant quatre heures, ils avaient fait taire l’artillerie ennemie tout en passant au fil de l’épée jusqu’au dernier des huit cents Français qui défendaient les tranchées, en échange de la vie de soixante-dix camarades. Pardieu, le compte était bon s’il fallait en croire l’arithmétique : onze soldats par tête et trente de surcroît.

— Avec tout le respect que je dois à Votre Seigneurie, fit observer Idiáquez, il faut dire que Diego Alatriste est un vieux et bon soldat. Nous savons tous que sa réputation est sans tache. Je suis sûr que…

Le mestre de camp l’interrompit d’un geste impatient :

— Les réputations sans tache peuvent se ternir.

— Diego Alatriste est un bon soldat, osa le capitaine Bragado, qui, derrière les autres, avait honte de son silence.

Don Pedro de la Daga le fit taire d’un nouveau geste brusque :

— Tout bon soldat – et dans mon tercio il y en a à foison – donnerait un bras pour se trouver demain devant la porte de Bolduc.

Diego Alatriste regarda le mestre de camp dans les yeux. Puis sa voix s’éleva, lente et froide, très basse, aussi tranchante que l’épée dont l’envie de se servir le démangeait.

— Je me sers de mes deux bras pour m’acquitter de mon devoir envers le roi qui me paye… quand il me paye…

Alatriste fit une très longue pause. Quant à mon honneur et à ma réputation. Votre Seigneurie n’a rien à craindre. Je m’en occupe moi-même et je n’ai besoin de personne pour me faire la leçon.

Le mestre de camp le fixait, comme s’il voulait graver ses traits dans sa mémoire. Il songeait manifestement à ce qu’il venait d’entendre, à la recherche d’un mot, d’un ton de voix, d’une nuance qui lui auraient permis d’attacher une corde au premier arbre venu. Comme par hasard, en la dissimulant sous son chapeau, Alatriste posa la main sur sa hanche gauche, près du manche de sa dague. Au premier signe, pensait-il avec résignation, je lui enfonce ma dague dans la gorge, je dégaine mon épée, et que Dieu et le diable comptent les leurs.

— Que cet homme retourne aux tranchées, dit enfin Chie-des-Cordes.

Le souvenir de la récente mutinerie tempérait sans doute le penchant du mestre de camp pour les cordes de chanvre. Bragado et Idiáquez, qui avaient surpris le geste de Diego Alatriste, semblèrent contents de la tournure que prenaient les événements. Cachant de son mieux son propre soulagement, Alatriste salua respectueusement en inclinant la tête, pivota sur ses talons et sortit de la tente, s’arrêtant juste à côté des hallebardes des sentinelles allemandes qui auraient fort bien pu le conduire au gibet en ce même instant. Il resta quelque temps sans bouger, remerciant le soleil qui touchait déjà l’horizon derrière les digues, certain qu’il le verrait se lever le lendemain. Puis il enfonça son chapeau sur sa tête et se dirigea vers les parapets qui conduisaient à la demi-lune du Cimetière.

Cette nuit-là, le capitaine Alatriste resta éveillé jusqu’à l’aube, couché sous sa capote et regardant les étoiles. Ce n’étaient pas l’hostilité du mestre de camp ni la crainte du déshonneur qui le tenaient éveillé tandis que ses camarades ronflaient autour de lui. Il se moquait de ce qu’on allait dire dans le tercio : Idiáquez et Bragado le connaissaient bien et ils sauraient raconter l’incident. De plus, comme il l’avait dit à Don Pedro de la Daga, il savait se faire respecter, autant de ses égaux que des autres. Non, c’était autre chose qui l’empêchait de dormir, et il se surprit à désirer qu’au moins un des aspirants survive le lendemain devant la porte de Bolduc. De préférence ce Carlos del Arco. Parce que ensuite, se dit-il sans quitter des yeux le firmament, le temps passe, la vie déroule ses méandres, et vous ne savez jamais quand vous allez tomber sur une ancienne connaissance dans une ruelle bien noire et silencieuse, sans voisins pour se mettre aux fenêtres en entendant le bruit des épées.

Le lendemain, sous les yeux des nôtres qui se levaient dans leurs tranchées tandis que l’ennemi, tapi dans les siennes ou perché sur les murailles, observait la scène, cinq hommes sortirent de nos lignes et se portèrent à la rencontre de cinq autres hommes qui franchissaient la porte de Bolduc. Selon la rumeur qui circulait dans le camp, il s’agissait de trois Hollandais, d’un Écossais et d’un Français. Le capitaine Bragado avait choisi comme cinquième homme l’enseigne Minaya, natif de Soria, âgé de trente et quelques années, un homme de confiance qui avait de bonnes jambes et une main meilleure encore. Les uns et les autres s’approchaient, une épée et deux pistolets à la ceinture, mais sans dague. On disait que ceux d’en face avaient exclu cette arme car tout le monde savait qu’elle rendait les Espagnols redoutables au corps à corps.

Rentré la veille de trois journées passées à essayer de trouver des vivres avec une bande de valets, presque jusqu’aux rives de la Meuse, j’étais là dans la foule avec mon ami Jaime Correas, debout sur les gabions des tranchées, sans risquer pour l’heure de recevoir un coup de mousquet. Il y avait des centaines de soldats partout et l’on disait que le marquis des Balbases, le général Spinola, était là lui aussi, à côté de Don Pedro de la Daga et des capitaines et mestres des autres tercios. Quant à Diego Alatriste, il se trouvait dans l’une des premières tranchées avec Copons, Garrote et les autres soldats de son escouade, muet, les yeux rivés sur la scène. L’enseigne Minaya, sans doute mis au courant par le capitaine Bragado, avait eu un geste de bon camarade : très tôt, il était venu demander à Alatriste de lui prêter un de ses pistolets, sous prétexte que les siens fonctionnaient mal. L’arme à la ceinture, il s’avançait maintenant vers ses adversaires. Ce geste en disait long sur la droiture de Minaya, qui mettait ainsi un terme aux racontars circulant dans la compagnie. Je dirai à ce propos que bien des années plus tard, après Rocroi, quand les tours et détours de la fortune firent de moi un officier de la garde espagnole du roi Philippe, j’eus l’occasion de rendre un service à une jeune recrue du nom de Minaya, ce que je fis sans la moindre hésitation en souvenir du jour où son père eut l’élégance d’aller se battre en portant à la ceinture le pistolet du capitaine Alatriste, devant les murs de Breda.

Ils étaient donc là, cinq contre cinq, en cette matinée ensoleillée mais fraîche du mois d’avril. Ils se rencontrèrent dans un petit pré qui montait jusqu’à la porte de Bolduc, à une centaine de pas, entre les deux camps. Il n’y eut pas d’entrée en matière, ni coups de chapeau, ni échange de courtoisies. Au contraire, à mesure qu’ils se rapprochaient les uns des autres, ils commencèrent à se tirer dessus et portèrent la main à l’épée tandis que les deux camps, mortellement silencieux jusque-là, éclataient en cris d’encouragement. Je sais que les gens de bonne volonté ont toujours prêché la paix et la bonne parole entre les hommes, condamnant la violence. Je sais, mieux que beaucoup, ce que la guerre fait du corps et du cœur de l’homme. Malgré tout, malgré mon entendement, malgré mon bon sens et la lucidité que donnent les années et la nature, je ne peux m’empêcher de tressaillir d’admiration devant le courage des braves. Et ceux-là en avaient à revendre, pardieu. Don Luis de Bobadilla, le second des aspirants, tomba dès les premiers coups de feu. Les autres en vinrent aux mains avec beaucoup de vigueur et d’animosité. Un coup de pistolet fracassa le cou d’un des Hollandais. Un autre de leur camp, l’Écossais, vit son ventre transpercé par l’épée du soldat Pedro Martin, qui dut l’y laisser. N’ayant plus que ses deux pistolets déchargés, blessé à la gorge et à la poitrine, il tomba sur le soldat qu’il venait de tuer. Quant à Don Carlos del Arco, il fit si bien avec le Français qui lui était échu en partage qu’entre bottes et feintes il parvint à le toucher à la figure. Blessé à la cuisse, l’aspirant dut reculer en titubant. Minaya acheva le Français avec le pistolet du capitaine Alatriste et blessa grièvement un autre Hollandais avec le sien, sans recevoir une égratignure. Eguiluz, blessé à la main gauche par une balle, brandissant son épée de la main droite, donna deux jolis coups au dernier ennemi, un au bras et l’autre au flanc, quand l’hérétique, se voyant blessé et seul, décida non pas de prendre la fuite, mais d’aller vaquer à d’autres tâches. Puis les trois hommes qui se tenaient encore debout dépouillèrent leurs adversaires de leurs armes et des écharpes orange que portaient nos ennemis. Ils auraient encore ramené dans nos lignes les corps de Bobadilla et de Martin si les Hollandais, furieux de l’issue du combat, ne s’étaient pas vengés en faisant pleuvoir sur eux une grêle de balles. Les nôtres se retirèrent peu à peu en bon ordre, mais par malheur une balle de mousquet atteignit Eguiluz au creux des reins. Avec l’aide de ses compagnons, il parvint à regagner nos tranchées, pour mourir trois jours plus tard. Les sept corps restèrent presque toute la journée là où ils étaient tombés, jusqu’à ce qu’une courte trêve en début de soirée permette aux deux camps de récupérer les leurs.

Personne dans le tercio ne mit en doute l’honneur du capitaine Alatriste. La preuve en est qu’une semaine plus tard, quand on décida d’attaquer la digue de Sevenberge, lui et son escouade se retrouvèrent parmi les quarante-quatre hommes choisis pour la tâche. Ils sortirent de nos lignes au coucher du soleil, profitant de la première nuit d’épais brouillard pour dissimuler leurs mouvements. La petite troupe était commandée par les capitaines Bragado et Torralba. Tous avaient enfilé leur chemise par-dessus leur pourpoint et leur casaque afin de se reconnaître dans l’obscurité. Ces expéditions nocturnes, qu’on appelait des camisades, étaient une pratique courante des troupes espagnoles. Elles avaient pour but de mettre à profit l’agressivité et l’adresse de nos gens au corps à corps : après s’être faufilés dans le camp des hérétiques, ils devaient fondre sur l’ennemi, tuer autant d’hommes que possible, puis mettre le feu aux baraques et aux tentes au moment précis de la retraite, et pas avant, pour ne pas se faire repérer à la lumière des incendies, et enfin regagner nos lignes ventre à terre. Comme il s’agissait toujours de combattants d’élite, participer à une camisade était considéré comme un grand honneur parmi les Espagnols, à telle enseigne que les soldats se battaient souvent entre eux pour être de la partie et ne pas connaître la honte d’en être exclus. Les règles étaient strictes et elles étaient généralement observées, afin d’éviter que nos soldats ne s’entretuent dans le noir. Parmi les nombreuses camisades qui eurent lieu dans les Flandres, celle de Mons frappa particulièrement les esprits : cinq cents Allemands à la solde des orangistes y trouvèrent la mort tandis que leur camp était réduit en cendres. En une autre occasion, une cinquantaine d’hommes seulement avaient été choisis pour un de ces coups de main nocturnes ; à l’heure dite, des soldats accoururent de partout pour y participer à leur compte. Quand la troupe s’ébranla dans le désordre, au lieu du silence habituel, ce ne fut que disputes et discussions en pleine nuit : on aurait cru à une razzia à la mauresque plus qu’à une camisade d’Espagnols, tandis que trois cents hommes se bousculaient sur le chemin pour arriver avant les autres et que l’ennemi se réveillait, surpris de voir lui tomber dessus une nuée d’énergumènes à moitié fous, vociférants et en chemise, qui tuaient sans faire de quartier et s’insultaient les uns les autres, égorgeant à qui mieux mieux.

Pour l’attaque de Sevenberge, le plan du général Spinola consistait à faire dans le plus grand silence les deux longues heures de route qui nous séparaient de la digue, puis à tomber sur les soldats qui défendaient l’ouvrage de terre pour le raser en démolissant les écluses à coups de hache avant de tout incendier. On décida qu’une demi-douzaine de valets d’armée participeraient à la camisade pour transporter ce qu’il fallait afin de saper la digue et l’incendier. C’est ainsi que je me vis cette nuit-là marcher à la file avec les Espagnols sur la rive droite de la Merck, sur laquelle flottait un épais brouillard. Dans la brume et le noir, on n’entendait que le bruit assourdi de nos pas, car nous étions chaussés d’espadrilles ou de bottes enveloppées dans des chiffons. Quiconque aurait parlé à haute voix, allumé une mèche ou porté une arquebuse ou un pistolet amorcé l’aurait payé de sa vie. Les chemises blanches avançaient comme des linceuls de fantômes. Il y avait belle lurette que je m’étais vu obligé de vendre mon bel estoc de Solingen, car il était défendu aux valets de porter l’épée. Je n’étais donc armé que de ma dague, solidement accrochée à mon ceinturon, et j’allais de l’avant, lourdement chargé d’impedimenta. Le sac que je portais à l’épaule était rempli à craquer : charges de poudre et de soufre enveloppées dans des pétards, guirlandes de goudron pour bouter le feu et deux haches bien affilées pour démolir les machines des écluses.

Je tremblais de froid, malgré le pourpoint de grosse étoffe que j’avais enfilé sous ma pauvre chemise. Celle-ci était plus trouée qu’une flûte et ne paraissait blanche qu’à la faveur de la nuit. J’avais les cheveux trempés à cause du brouillard, qui donnait des allures irréelles au paysage. De petites gouttes coulaient sur mon visage, comme du crachin. Le sol était glissant et j’avançais très prudemment, car un faux pas sur l’herbe mouillée m’aurait conduit tout droit dans les eaux glacées de la Merck, avec soixante livres sur le dos. Je n’y voyais goutte dans la nuit et la brume : deux ou trois taches blanches diffuses devant moi, deux ou trois autres derrière. La plus proche, que je suivais de mon mieux, était celle du capitaine Alatriste. Son escouade formait l’avant-garde, précédée seulement du capitaine Bragado et de deux guides wallons du tercio de Sœst, ou de ce qu’il en restait, dont la mission, à part nous guider car ils connaissaient bien la région, consistait à tromper les sentinelles hollandaises et à s’approcher suffisamment pour les égorger avant qu’elles aient le temps de sonner l’alarme. On avait choisi pour cela un chemin qui pénétrait en territoire ennemi après avoir louvoyé entre de grands marécages, souvent très étroit quand il prenait par les digues, forçant nos hommes à se mettre à la queue leu leu.

Nous passâmes sur l’autre rive en empruntant une estacade qui nous conduisit à la digue séparant la rive gauche des marécages. La tache blanche du capitaine Alatriste avançait en silence, comme d’habitude. Je l’avais vu se préparer posément à la tombée de la nuit : casaque de buffle sous la chemise, et par-dessus la ceinture, avec son épée, sa dague et le pistolet que lui avait rendu l’enseigne Minaya. Alatriste avait graissé le bassinet de son arme pour le protéger de l’eau. Il avait aussi suspendu à son ceinturon une petite poire à poudre et une bourse contenant dix balles, un silex de rechange et un briquet à amadou, au cas où il en aurait besoin. Il avait vérifié la couleur de la poudre, ni trop noire ni trop brune, son grain, fin et dur, puis il en avait mis un peu sur sa langue pour goûter le salpêtre et avait ensuite demandé à Copons sa pierre à aiguiser, afin de repasser longuement les deux tranchants de sa dague. Les hommes de l’avant-garde n’avaient ni arquebuses ni mousquets. Leur mission consistait à donner le premier assaut à l’arme blanche dans le but d’établir une tête de pont, tâche pour laquelle ils devaient aller légers et les mains libres. Le fourrier de notre compagnie ayant demandé des volontaires parmi les valets, mon ami Jaime Correas et moi-même nous présentâmes, non sans lui rappeler que nous avions fait nos preuves lors du coup de main contre la porte d’Oudkerk. Quand il me vit de près, avec ma chemise sur mon pourpoint, la miséricorde à la ceinture, prêt à sortir des tranchées, le capitaine Alatriste s’abstint de tout commentaire. Il se contenta de hocher la tête et de me montrer d’un geste un des sacs que nous devions porter. Puis, dans la lumière brumeuse des feux de camp, nous mîmes tous un genou en terre, nous récitâmes le Notre Père dans un murmure qui parcourut les rangs des soldats, nous nous signâmes et nous partîmes en direction du nord-ouest.

La file s’arrêta tout à coup et les hommes s’accroupirent, se donnant tour à tour à voix très basse le mot de passe que venait de dévoiler le capitaine Bragado : Anvers. On nous avait fourni d’abondantes explications avant le départ, si bien que, sans qu’il soit nécessaire de lui en donner l’ordre, un groupe de chemises blanches passa silencieusement devant moi. J’entendis patauger les hommes qui s’éloignaient à présent des deux côtés de la digue, de l’eau jusqu’à mi-corps. Le soldat qui allait derrière moi me toucha l’épaule et me débarrassa de mon sac. Son visage faisait une tache sombre et je pus entendre sa respiration haletante quand il assujettit les courroies de ma besace avant de poursuivre son chemin. Quand je regardai devant moi, la chemise du capitaine Alatriste avait disparu dans l’obscurité et le brouillard. Les dernières ombres passaient maintenant à côté de moi, puis elles s’évanouirent dans un bruit étouffé de lames sortant de leurs fourreaux et dans le doux cliquetis des arquebuses et des pistolets que l’on chargeait enfin. Je fis encore quelques pas avec elles avant de me laisser distancer, puis je m’étendis à plat ventre au bord du talus, sur l’herbe mouillée que leurs pas avaient souillée de boue. Quelqu’un s’approcha de moi à quatre pattes. C’était Jaime Correas. Nous restâmes là, échangeant quelques mots dans un souffle, regardant devant nous anxieusement, essayant de voir dans l’obscurité les quarante-quatre Espagnols qui allaient tenter de faire passer un mauvais quart d’heure aux hérétiques.

Nous attendîmes, le temps de dire un ou deux rosaires. Mon camarade et moi étions transis de froid. Nous nous serrions l’un contre l’autre pour nous tenir chaud. Nous n’entendions rien, à part le clapotis du courant sur le côté de la digue qui donnait sur la rivière.

— Ils prennent leur temps, murmura Jaime.

Je ne répondis pas. Je m’imaginais le capitaine Alatriste, de l’eau froide jusqu’à la poitrine, tenant son pistolet en l’air pour ne pas mouiller la poudre, sa dague ou son épée dans l’autre main, en train de s’approcher des sentinelles hollandaises qui gardaient les écluses. Puis je pensai à Caridad la Lebrijana et plus tard à Angélica d’Alquézar. Les femmes ignorent souvent ce qu’il y a de résolu et de redoutable dans le cœur de certains hommes.

Nous entendîmes un coup d’arquebuse, un seul, en plein milieu de la nuit et du brouillard. Je calculai qu’il devait avoir été tiré à plus de trois cents pas devant nous, qui nous fîmes encore plus petits. Puis ce fut le silence. Soudain, un furieux feu roulant de détonations, de coups de pistolet et de mousquet se fit entendre. Excités et enhardis, Jaime et moi essayâmes de percer les ténèbres, en vain. Les coups de feu se succédaient maintenant des deux côtés, de plus en plus nourris, assourdissant ciel et terre comme si un orage grondait derrière le sombre rideau de la nuit. Au même moment, nous vîmes la brume se dissiper un peu, faible clarté laiteuse puis rougeâtre qui se multipliait, suspendue aux minuscules gouttelettes qui remplissaient l’air en se reflétant dans l’eau noire, en bas du talus où nous étions toujours à plat ventre. La digue de Sevenberge était en flammes.

Je ne sus jamais combien de temps passa ainsi. Ce que je sais, c’est que dans le lointain la nuit résonnait comme l’enfer doit le faire. Nous nous redressâmes un peu, fascinés, et au même instant nous entendîmes des bruits de pas qui venaient à la course sur la digue. Puis des taches blanches, soldats en chemise qui s’élançaient dans l’obscurité, commencèrent à se dessiner dans la brume, passant à côté de nous en direction des lignes espagnoles. Les détonations et les coups d’arquebuse continuaient devant nous, tandis que les silhouettes qui venaient de là-bas couraient rapidement, pataugeant dans la boue, lançant des imprécations, haletantes. Un blessé mal en point gémissait, soutenu par ses camarades. Le crépitement des mousquets se rapprochait et les chemises blanches, qui au début arrivaient nombreuses, commencèrent à s’espacer.

— On fout le camp ! me dit Jaime en se mettant à courir.

Je me relevai à mon tour, poussé par une vague de panique. Je ne voulais pas rester seul en arrière. Des soldats attardés arrivaient encore et dans chaque tache blanche j’essayais de reconnaître le capitaine Alatriste. Une ombre indécise s’avança sur la digue, courant avec difficulté, gémissant de douleur à chaque pas. Avant d’arriver jusqu’à moi, elle roula en bas du talus et j’entendis l’eau clapoter. Sans réfléchir, je sautai du talus et me retrouvai avec de l’eau jusqu’aux genoux, tâtonnant dans l’épais brouillard jusqu’à tomber sur un corps immobile. Je sentis un corselet sous la chemise et un visage barbu, glacé comme la mort. Ce n’était pas le capitaine.

Les coups de feu se rapprochaient de plus en plus et semblaient venir de toutes les directions. J’escaladai le talus pour remonter sur la digue, désorienté, et c’est alors que je commençai à me demander où étaient ceux de mon camp. On ne voyait plus de lueurs dans le lointain et personne ne passait plus en courant devant nous. J’avais oublié de quel côté était tombé cet homme et je ne savais plus par où prendre la fuite. Ma tête refusait de fonctionner dans un silencieux cri de panique. Pense, me disais-je. Garde la tête claire, Íñigo Balboa, ou tu ne verras pas le lever du soleil. Je me mis à genoux, les tempes battantes, luttant pour que ma raison l’emporte sur ma peur. Je me souvenais que l’eau était calme du côté où le soldat était tombé. Je compris alors que j’entendais le doux murmure de la Merck qui coulait en bas du talus de droite. La rivière descend en direction de Sevenberge, me dis-je. Nous sommes arrivés par la rive droite, pour passer ensuite sur la digue qui se trouvait à gauche en empruntant l’estacade. J’allais donc dans la mauvaise direction. Je fis demi-tour et me mis à courir, fendant la nuit noire comme si, au lieu des Hollandais, j’avais le diable aux trousses.

Je n’ai que rarement couru ainsi dans ma vie. N’oubliez pas que j’étais trempé et couvert de boue. Je fonçais tête baissée dans la nuit noire, au risque de rouler en bas d’un talus et de m’en aller tout droit dans la Merck. L’air humide et froid me faisait suffoquer, comme si des aiguilles chauffées au rouge avaient pénétré dans mes poumons. Tout à coup, juste au moment où je me demandais si je n’avais pas dépassé l’estacade, je tombai dessus. Je me cramponnai aux planches et commençai à traverser d’un pas hésitant sur le bois mouillé. À peine arrivais-je en face, sur la terre ferme, qu’un coup de feu troua l’obscurité et que j’entendis une balle d’arquebuse siffler à quelques pouces de ma tête.

— Anvers ! Criai-je en me jetant à terre.

— Merde ! fit une voix.

Deux silhouettes se détachèrent dans le brouillard, courbant le dos.

— Tu l’as échappé belle, camarade, dit une seconde voix.

Je me relevai et m’approchai des soldats. Je ne distinguais pas leurs visages, mais je voyais les taches blanches de leurs chemises et l’ombre sinistre des arquebuses qui avaient bien failli m’expédier dans l’au-delà.

— Vous n’avez pas vu ma chemise ? demandai-je, haletant, encore sous le coup de la surprise.

— Quelle chemise ? dit l’un des deux hommes.

Je palpai ma poitrine, surpris, et si je ne jurai pas, ce fut que je n’avais ni l’âge ni l’habitude de le faire. Parce que, d’être resté si longtemps à plat ventre sur la digue durant l’assaut, ma chemise était couverte de boue.